28 février 2024

Jour 30 – 930 km parcourus – 2585 km à parcourir

L’Attente interminable dans le blizzard de Carver’s Gap

Carver’s Gap, (1680m) Il était 19:40. J’attendais MS depuis 40 minutes dans le noir. J’étais frigorifié et le vent me glaçait jusqu’aux os. J’essayais de me protéger du vent, mais je n’osais m’éloigner du stationnement au cas où MS passerait tout droit. Elle m’avait envoyé un message à 19h, l’heure où on avait rendez-vous pour me dire qu’elle serait en retard. J’étais partagé entre la frustration grandissante et une irritation palpable envers elle.

Enfin, j’ai aperçu des phares au loin. À cette heure tardive, ça ne pouvait qu’être elle. J’étais  sauvé. Mon calvaire allait prendre fin!

Elle m’a expliqué avoir fait un détour pour remplir le réservoir d’eau afin que je puisse prendre une douche. C’est quand même gentil de sa part… mais à ce moment-là, l’idée de me dévêtir me faisait grelotter.

Un peu plus tard, lorsque je me suis finalement réchauffé, la douche chaude a été un vrai soulagement.

Pendant la nuit, le vent de plus en plus violent secouait la van avec force. Je remerciais le ciel de dormir dans la van cette nuit-là plutôt que dans un refuge rempli de courant d’air froid.

Trouver la force de repartir : le compromis qui change tout

Au réveil, le mercure affichait -17°C avec le facteur vent et tout était blanc autour de nous. Les sapins s’étaient transformés en fantômes, drapés dans un manteau de neige étincelante.

C’était presque comme si nous nous étions réveillés dans un monde enchanté figé par le froid. Par contre, c’était toujours le blizzard dehors. Ça ne me donnait pas très envie de reprendre la marche. L’idée de sortir de notre cocon douillet pour affronter les éléments me faisait frissonner davantage que la température elle-même, surtout que la prochaine nuit serait également très froide. J’avais presque envie de prendre un jour de congé.

Surtout que MS avait décrété depuis longtemps qu’elle ne mettrait pas le gros orteil à l’extérieur aujourd’hui.

Néanmoins, je devais sortir n’était-ce que pour dégager la glace des panneaux solaires. J’ai alors aperçu un groupe de randonneurs ravis par toute cette belle neige. Ils étaient l’inspiration dont j’avais besoin.

De plus, une idée a germé dans mon esprit. Je pourrais marcher jusqu’au village de Roan Mountain et MS pourrait m’y rejoindre avec la van. Il me semblait que ce serait un bon compromis. Ça me permettait également de partir avec un sac-à-dos plus léger, ce qui était presque l’équivalent d’un jour de congé!

Le soleil a fini par se pointer le bout du nez et j’ai pu rassembler assez de courage pour me remettre en marche. C’était magnifique à l’extérieur. Un paysage hivernal comme je les aime. Finalement, je me sentais assez bien et j’étais heureux de marcher dans un décor aussi féérique. Disons que ça changeait du brun habituel. Quelques minutes à peine après être sorti de la van, je suis arrivé à un sommet dégagé et j’ai vu toute cette splendeur blanche s’étendre à perte de vue.

Je me sentais tellement bien. J’étais heureux d’avoir bravé les éléments. Contre toute attente, c’était ma plus belle journée sur la trail depuis le début de cette aventure. C’est tellement rare de randonner sur une crête sans arbres sur l’Appalachian Trail. Ça changeait tout!

Au village de Roan Mountain, 900m/ 2900ft plus bas, le contraste était saisissant! Aucune trace d’hiver là-bas. J’y retrouvais le bon vieux brun habituel et les arbres sans feuilles de la saison morte. Ma réalité quotidienne, quoi!

Et MS a été pile poil à l’heure cette fois-ci! Ça a ajouté une touche de perfection à cette journée déjà mémorable.

L’arrivée en Virginie et une première blessure

J’ai bouclé l’aventure de Carver’s Gap au jour 20 de mon périple, et voilà que maintenant, je me retrouve déjà au jour 30 au moment d’écrire ces lignes. Le temps file à une vitesse! Entretemps, j’ai laissé derrière moi le Tennessee et la Caroline du Nord pour plonger dans la Virginie, l’étape la plus longue de l’Appalachian Trail.

J’ai également expérimenté mes premières douleurs. Ma jambe gauche a commencé à faire mal et le lendemain, ça a empiré. J’étais vraiment inquiet. Une première blessure si tôt dans l’aventure, ce n’était pas une bonne nouvelle. MS m’a rejoint d’urgence avec la van et j’ai même pu obtenir une consultation de dernière minute en physio avec Dr Morgan Brosnihan (@blazephysio) via FaceTime. Elle soigne les thru-hikers depuis sa van sur le Pacific Crest Trail. Non mais quelle chance de connaître cette physio et d’avoir pu dénicher un rendez-vous aussi vite, même s’il a eu lieu à 22h!

Résultat des courses? Une banale entorse musculaire, rien qui puisse mettre un frein à mon aventure. Ouf! Quel soulagement!!! Le traitement? Des exercices toutes les deux heures, un peu de taping, et un bandage de compression. Et, cerise sur le gâteau, une journée de repos prescrite. Ma toute première pause sur l’AT!

Et comme par magie, cette journée de pause m’a évité une météo exécrable sur la trail : températures oscillant autour de 2°C/28°F le jour et plongeant à -8°C  la nuit, avec un cocktail de pluie, neige, et grêle.

Depuis, ma jambe va beaucoup mieux, et j’ai repris la route avec un nouvel élan.

Mais voilà, MS a dû s’envoler pour Montréal, pour la semaine de relâche avec ses enfants. Ces prochaines deux semaines, je serai en solo total. Ça ne me fait pas peur, loin de là. Ce n’est pas ma première thru-hike, mais c’est certainement la première où j’ai goûté à un tel niveau de confort. Ça va être intéressant de voir comment je m’adapte sans tous ces petits luxes.

La suite promet d’être une aventure en soi, et j’ai hâte de voir ce que les prochains jours me réservent.

Leçons du sentier: partages essentiels pour les thru-hikers

Désireux de contribuer à la communauté des thru-hikers et d’offrir un aperçu précieux à ceux qui envisagent de se lancer dans une telle aventure, j’ai décidé d’enrichir mes récits avec quatre nouvelles rubriques. L’objectif est de souligner les moments forts, les défis rencontrés, les petites trouvailles qui égayent le quotidien et les prises de conscience sur le sentier.

En espérant que ces rubriques rendent le récit de mon aventure sur l’Appalachian Trail plus concret et utile pour les thru-hikers.

Les wins

  • Le sac bivouac est un allié précieux contre le vent et la pluie dans les refuges. Ça améliore grandement le confort pendant la nuit.
  • Une bâche en plastique : Une merveille ultra-légère qui garde mon coin dodo à l’abri de la poussière sournoise qui rôde sur les plateformes. J’ai opté pour une bâche de la même marque que mon bivouac pour une compatibilité parfaite, mais un secret entre nous : une simple bâche de peinture, découpée à la bonne taille, fait tout aussi bien l’affaire. Grâce à cette astuce, je m’assure que mon espace de repos reste impeccable, sans ajouter un poids superflu à mon sac.
  • La nourriture : Tout sauf monotone. Nous avons préparé des assaisonnements variés pour les ramens, smoothies et boissons énergétiques, barres et snacks en abondance. Aucune trace d’écœurantite, juste un festin quotidien qui booste le moral et l’énergie.

Les fails

  • Beaucoup de problèmes avec les matelas! D’abord un Thermarest NeoAir UberLite qui perdait de l’air, ensuite un NeoAir XLite avec le même souci. Solution temporaire : un ZLite en mousse, mais adieu chaleur.
  • Enfin, à Damascus, investissement dans un NeoAir XTherm : plus lourd et coûteux, mais réveils au chaud sur un matelas bien gonflé.

Luxury item du moment

  • Ma montre intelligente : elle est mon carnet de bord électronique, gardant trace de chaque pas, chaque montée, et chaque kilomètre conquis. En plein CYTC, elle me permet de mesurer mes exploits et d’affiner ma stratégie sur le sentier.

Les révélations du sentier

  • Ce parcours m’a offert une révélation majeure : ma perception de la distance a totalement évolué. Avant, chaque thru-hike ressemblait à une odyssée sans fin, un chemin qui s’étendait à l’infini. Mais là, je vois l’horizon de l’Appalachian Trail se rapprocher. Changer d’État apporte un rythme nouveau, une progression tangible qui dessine déjà la ligne d’arrivée. Avec plus d’un quart du trajet bouclé en juste un mois, Kathadin n’est plus qu’une question de temps. Selon mes calculs, je devrais y arriver pour le 1er mai. Une anticipation qui change tout.