26 mars 2024

Jour 57 – 2037 km parcourus – 10 362 km à parcourir

Pourquoi se reposer quand on peut encore marcher ?

J’ai déjà atteint la mi-parcours de l’Appalachian Trail. C’est fou, non? Je suis à la fois super fier de moi, et je réalise aussi que c’est un genre de tournant. On est loin du début, mais pas encore au bout. C’est un mixte étrange de « Wow, j’ai fait tout ça! » et « Bon, et maintenant, on continue comment? »

Car derrière cet accomplissement, l’accumulation de la fatigue se fait de plus en plus présente et insidieuse.

Les longues journées de marche, les températures qui jouent au yoyo entre le froid mordant et l’humidité pénétrante de la pluie me mettent à l’épreuve. L’épuisement s’installe. Je suis un peu plus crevé chaque jour.

Mais ce nouveau jalon me montre aussi la fin imminente de cette première étape de mon Calendar Year Triple Crown (CYTC).

D’ailleurs, dans cette aventure, chaque coup de pouce que je reçois compte énormément, qu’il s’agisse de l’accueil chaleureux de personnes comme David, un véritable ange des sentiers, de Jolly Gear qui me sponsorise avec ses incroyables chemises de toutes les couleurs ou du geste généreux d’une lectrice, qui a choisi de contribuer financièrement à notre aventure. Nous avons été vraiment touchés par cette belle solidarité. Un rappel qu’il y a d’autres humains qui croient en nous.

Mais avant de plonger plus en profondeur dans le récit des derniers jours, juste un petit rappel de parcourir les rubriques pratiques en fin d’article, où je partage conseils et réflexions pour ceux tentés par leur première thru-hike.

Nightshift

Revenons maintenant au jour 31. Je vous rappelle que MS, ma bien-aimée et support team, s’est envolée la veille pour Montréal afin de passer la relâche scolaire avec ses enfants.

Donc, quelques heures après avoir quitté les chutes de Dismal où j’ai passé la nuit, la journée a pris une tournure inattendue. Il s’est mis à pleuvoir des cordes. Dans un moment de pur optimisme, je me suis dit que ça ne durerait pas longtemps donc que ce ne valait pas la peine de mettre mon imperméable… Quelle erreur! Je me suis retrouvé trempé jusqu’aux os.

C’est sous cette pluie incessante que le chemin m’a mené à un refuge où j’ai rencontré Nightshift lui aussi engagé dans le même défi que moi : le CYTC.

Ensemble, on a pris la décision de se diriger vers la ville suivante pour passer la nuit au sec dans un hostel, évitant ainsi ce qui aurait pu être une nuit assez désastreuse. Sans ce havre chauffé, mes vêtements trempés auraient complètement gelé avec le mercure qui est descendu à -5°C cette nuit-là. On est allés manger au resto et on a jasé de hiking et de nos projets respectifs.

Le lendemain, j’ai pris plaisir à l’initier aux longues heures de marche qui caractérisent mes journées. Ensemble, nous avons poussé nos limites jusqu’à tard en soirée sous les lueurs de nos lampes frontales. Le surlendemain, je l’ai laissé derrière, désirant partir tôt afin d’arriver à temps au bureau de poste pour récupérer ma boîte de ravitaillement. On ne se reverra probablement jamais… Les rencontres éphémères, ça fait partie de la trail.

Une soirée plus dangereuse que prévu

J’ai pris l’habitude de prolonger mes journées de cette façon : un souper vers 17h, puis quelques heures de randonnée supplémentaires. Cette stratégie, généralement efficace pour augmenter mon kilométrage quotidien, a parfois ses revers.

Comme ce soir-là, après avoir laissé Nightshift derrière, la fatigue et les conditions météo ont transformé ma routine en une véritable épreuve. La dernière section du sentier, parcourue dans l’obscurité et sous une pluie battante, s’est avérée particulièrement périlleuse. Entre les roches mouillées et l’absence totale de visibilité, j’ai dû avancer avec prudence sur près d’un kilomètre et demi, luttant pour ne pas glisser à chaque pas.

Bon, je l’admets, faire cette section de nuit n’était pas ma meilleure décision à vie, mais sachez que dès que j’en ai eu l’occasion, j’ai monté ma tente sur le premier emplacement venu, complètement vidé.

Pour ma défense, je tiens à mentionner que le panneau signalant la dangerosité de cette section n’apparaissait qu’à la fin.

Le hasard fait bien les choses

Ma quête de distance et ma routine habituelle ne me laissent pas énormément de temps pour faire de la recherche sur les points d’intérêts de l’AT. J’arrive crevé tous les soirs au camp et déjà tenir un journal est un miracle en soi.

Ce qui fait que je suis tombé, un peu par hasard, sur McAfee Knob, dans la région du Triple Crown, en Virginie, sans réaliser immédiatement que j’atteignais l’un des panoramas les plus emblématiques de l’Appalachian Trail.

La décision de dévier vers ce point de vue pour le lunch était spontanée, motivée par l’envie de manger mon délicieux ramen à saveur de pad thai dans un cadre exceptionnel. Et je n’ai pas été déçu! Ce que je n’avais pas anticipé, c’était la présence des Hiking Mamas, un groupe de randonneuses qui, par un heureux hasard, étaient là juste quand j’y étais. Grâce à elles, j’ai pu avoir mon moment Instagram.

Un festin de roi

Peu avant son départ pour Montréal, Marie-Soleil a reçu un message de David, un trail angel réputé dans la région du Triple Crown, offrant son aide. Sensible à l’offre, elle a partagé avec David que je pourrais avoir besoin de son soutien pendant qu’elle serait loin. Initialement, l’idée de prendre une pause ne m’enchantait guère, obsédé que j’étais par le décompte quotidien de mes kilomètres parcourus. La perspective de m’arrêter, même un jour, me stressait.

Cependant, lorsque David m’a proposé une journée de repos, je me suis laissé convaincre, presque malgré moi. Contre toute attente, cette pause a finalement pris la forme d’une journée mémorable. David m’a préparé un festin inoubliable : un steak cuit à la perfection, un des meilleurs que j’aie jamais mangé et un gâteau au chocolat tellement délicieux qu’il m’en a donné les restes pour mon snack du lendemain. Autour de quelques bières, nous avons partagé d’excellentes conversations, me faisant réaliser à quel point cette pause était non seulement nécessaire mais profondément réparatrice. Merci David!

Un parc décevant

Après cette pause ressourçante chez David, l’arrivée du printemps se faisait désormais sentir sur l’Appalachian Trail. En mars, les insectes ont commencé à sortir ainsi que les hikers!  Je n’ai jamais vu autant de monde sur la trail. Disons que j’ai vite appris à éviter les shelters le samedi soir…

Mon parcours m’a également conduit à travers le parc national de Shenandoah. En le traversant, j’ai eu l’impression que ses aménagements semblaient davantage pensés pour les voitures que pour les randonneurs. Les routes panoramiques offraient des vues spectaculaires, certes, mais j’ai parfois regretté que l’expérience pédestre ne soit pas autant valorisée. En fait, la trail zigzague souvent sous ces fameux points de vue conçus pour les voitures. Ce que les automobilistes ne voient pas, c’est qu’à ces endroits, pour dégager la vue, ils ont rasé toute la végétation. Et devinez où atterrissent tous ces débris? Tout autour du sentier. Pas super comme concept. 

Une prise de conscience majeure

Au fil des jours, le besoin de repos ne faisait que s’intensifier, une réalité que je ne pouvais plus ignorer au jour 43. C’est ainsi que je me suis accordé une soirée de répit. Dans un bon restaurant, je me suis délecté de short ribs, de tacos, de cheesecake et de quelques bières, avant de m’immerger dans l’univers de “Dune 2” au cinéma. Cette soirée hors du temps n’était pas seulement un plaisir; elle a marqué un tournant.

J’ai commencé à réaliser toute la pression inutile que je m’imposais. Cette pause m’a permis de réfléchir et de comprendre que, d’un point de vue timing, j’étais plus qu’en avance sur mon programme. La course incessante contre les kilomètres ne justifiait pas le poids que je mettais sur mes épaules. Ce moment de détente m’a enseigné l’importance d’écouter mon corps et de respecter mes besoins, une leçon précieuse pour la suite de mon aventure.

En fait, cette prise de conscience a été libératrice. En m’accordant le droit de me reposer sans culpabilité, j’ai non seulement rechargé mes batteries physiques et mentales, mais j’ai aussi laissé s’évaporer le stress qui m’accompagnait depuis le début de mon aventure.

Comprendre que j’avais l’espace et le temps nécessaires pour apprécier l’aventure sans me presser inutilement a transformé ma manière d’aborder chaque journée sur le sentier. Je vois désormais le repos non plus comme un obstacle à ma progression, mais comme un allié précieux.

D’ailleurs, en parlant d’allié précieux, j’ai retrouvé ma partenaire d’aventure au jour 46 soit deux jours avant de passer le jalon de mi-parcours, et ça a donné lieu à quelques jours de repos bien mérités. Des moments de pause qui ont été tout sauf ennuyeux…

Entre autres, nous avons eu une grosse décision à prendre… Je vous en parle dans mon prochain récit. Restez à l’affut!

Leçons du sentier: partages essentiels pour les thru-hikers

Les wins

  • Mon Hoodie Alpha 120 de Senshi Design, mon allié contre le froid et l’humidité. Je le porte comme baselayer lorsqu’il pleut. Fait de Polartec ultraléger, il me tient au chaud, car il respire et ne se mouille pas.
  • Mon sac-à-dos Durston Kakwa 55. J’ai eu différents modèles de sac-à-dos ultralégers au cours de mes diverses thru-hikes et celui-ci est un match parfait pour moi. Après plus de 50 jours de marche, je ne ressens aucun inconfort.

Les fails

  • L’iPhone et la pluie, une combinaison capricieuse. Mon iPhone, normalement fiable devient une source de frustration sous la pluie. L’écran, habituellement réactif, se transforme en une surface rebelle, refusant de répondre à mes commandes mouillées.
  • Livraison d’une nouvelle paire d’Altra. Pendant l’absence de MS, j’ai eu besoin rapidement de nouvelles chaussures et je les ai fait livrer dans un bureau de poste avec la mention General Delivery. Chose que je ne savais pas, Altra livre avec Fedex donc après plusieurs jours d’attente, je n’avais toujours pas reçu mes nouveaux souliers.C’est vraiment dommage que Fedex n’ait pas avisé Altra rapidement qu’ils ne pouvait livrer à l’adresse mentionnée dans le bon de commande.
    • Heureusement, j’ai pu trouver un magasin près du sentier qui avait les LonePeak 11.5. J’aurais préférés les wide, mais dans les circonstances, c’était tout de même un bon compromis. J’ai besoin d’une nouvelle paire tous les 800 km. Ça fait quand même 18 paires au total! C’est fou, non quand on y pense? Et j’ose même pas mentionner le coût que ça représente en $$.
    • D’ailleurs, petite note aux futurs thru-hikers, lorsque j’ai commencé il y a 3 ans, je portais du 9.5. Aujourd’hui, après avoir fait le Te Araroa en Nouvelle-Zélande et le PCT, je porte du 11.5. Oui, les pieds grandissent et s’élargissent à force de marcher. C’est un phénomène répandu chez les thru-hikers.

Shake down

Avec le temps plus doux, j’ai pu laisser de côté mes crampons, mon sous-vêtement technique en laine mérinos, mon manteau en duvet, mon bivouac, ma bâche de protection et j’ai réduit le contenu de ma trousse de premiers soins pour les ampoules vu que mes pieds se portent bien…

Les révélations du sentier

J’ai enfin compris que je n’avais pas besoin de me mettre autant de pression face au temps. J’en ai suffisamment pour compléter mon CYTC. Le repos est essentiel. Je ne parle pas seulement de dormir, mais également de faire des activités amusantes de temps en temps. Ça permet non seulement au corps de se reposer, mais à la motivation de rester élevée. L’autre jour, MS a fait un lapsus intéressant. Elle m’a dit : « Ne vas pas travailler aujourd’hui. » Je pense que ça en dit beaucoup! C’est important de relâcher la pression et de retrouver le plaisir.