20 avril 2024

Jour 81 – 2412 km parcourus – 9987 km à parcourir

Le problème Katahdin

James avait un plan qui fonctionnait à merveille pour l’Appalachian Trail (AT): atteindre Katahdin au Maine fin avril, puis se lancer sur le Pacific Crest Trail (PCT) mi-mai…

Mais ça, c’était avant de croiser Crux et PowPow, deux thru-hikers, le 5 mars dernier.

« Ton plan ne fonctionnera pas. Baxter State Park ferme en avril et mai, chaque année, pour le dégel. »

Je pense que son cœur a dû arrêter de battre pendant un instant lorsqu’il a entendu ça…

Le dégel… L’idée qu’un parc national puisse fermer entièrement à cette période nous avait complètement échappé.

«Ben voyons donc…»

Ça remettait tout en question…

La dernière chose qu’on voulait, c’était de mettre en pause l’un des trois grands sentiers pour y revenir plus tard. Ça impliquerait trop d’allers-retours à notre goût, sans oublier que toutes les montagnes doivent être franchies avant l’arrivée précoce de l’hiver, qui en haute altitude peut survenir dès fin septembre.

Donc, comme on ne voulait pas jongler avec les sentiers, la solution semblait évidente : tenter l’ascension avant la fermeture du parc, en espérant que la neige ait assez fondu. Ce qui jouait en notre faveur, c’est que cette année, la neige se faisait rare.

Nous avons donc fait toutes les démarches pour obtenir nos permis d’ascension hivernale pour Katahdin. Nous avons reçu le feu vert pour les 28 et 29 mars.

Revirement de situation

Tout semblait aligné en notre faveur. À seulement une semaine de notre départ du sentier en Pennsylvanie pour filer vers le Maine, mère Nature nous a fait une belle surprise avec une énorme tempête de neige le 23 mars.

Merde!!

Notre seul espoir était que le mercure remonte pour notre arrivée et que d’autres randonneurs aient déjà frayé un chemin. Sinon, notre aventure était sérieusement compromise.

Nous étions donc en mode pensée magique jusqu’à ce que James reçoive des nouvelles de LostBoy, un autre prétendant au Calendar Year Triple Crown, qui avait tenté sa chance quelques jours auparavant…

« Ça a été une erreur monumentale. Pour moi, c’est non. Je ne veux pas créer de panique, mais franchement, c’est au-delà de mes habiletés. Peut-être avec des raquettes ou des skis, ça serait faisable. »

Bon…

Disons simplement qu’on espérait de meilleures nouvelles…

Sur le moment, l’idée d’abandonner tout le projet Katahdin nous a effleurés, d’autant que la météo continuait de faire des siennes, annonçant de la pluie pour les deux jours où on y serait. Pluie, froid et trois pieds de neige au sol… Un combo gagnant, quoi !

La déception était immense… et encore plus pour moi, qui évite la randonnée sous la pluie comme la peste.

Cependant, après avoir laissé passer la tempête émotionnelle provoquée par les infos de LostBoy, on a décidé de ne pas jeter l’éponge, surtout qu’on avait aussi prévu de passer Pâques en famille au Québec après. Annuler aurait signifié faire face à une double déception.

Se préparer pour le pire

On a donc pris la route, direction l’aventure. Première étape : l’équipement. Raquettes pour James et bottes imperméables pour moi. À ce moment, j’hésitais encore à l’idée de me joindre à l’expédition.

Trouver des raquettes d’ascension fin mars sur la côte Est ? Bonne chance ! Mais c’est à Portland au Maine qu’on a déniché les dernières MSR Lightning Ascent, déjà rangées pour la saison. Convaincre le vendeur d’aller les chercher a demandé un peu de persuasion!

Nous sommes enfin arrivés au Baxter State Park et malgré une météo exécrable, j’ai choisi de me lancer dans l’aventure. Pourquoi, me demanderez-vous ? Je crois que tout se résume à un immense besoin d’aventure.

Aussi étrange que cela puisse sembler, l’Appalachian Trail n’arrive pas à combler ce besoin. Honnêtement je m’y ennuie beaucoup. Les randonnées se suivent et se ressemblent, à travers des décors monotones et répétitifs… Quitter le Québec pour les défis des Rocheuses de l’Alberta avait un sens pour moi, mais l’AT… ***gros soupir***  Que voulez-vous, traverser l’Appalachian Trail est une étape inévitable pour qui aspire à conquérir le Triple Crown.

Ce qui m’a vraiment décidée, c’est la perspective de notre camp de base à Katahdin Stream. Pouvoir y laisser des vêtements secs pour après l’ascension était rassurant. Avec cette assurance que j’allais survivre, je me suis lancée.

L’ascension de Baxter Peak

L’objectif du premier jour consistait à se rendre au campement. James avait estimé environ 4 heures pour franchir les 15 kilomètres de plat pour s’y rendre. Donc, on est parti après le dîner, avec 1 heure de retard, soit vers 14h15. Quelle naïveté de croire qu’on allait avancer à 4 km/h avec les raquettes! Dès qu’on s’est mis en marche, on a bien vu que même sur un terrain plat avancer avec des raquettes ça ne serait pas de la tarte.

On avait pourtant appelé le parc pour se renseigner sur l’état des sentiers et on nous avait informé que tout était ouvert jusqu’à la ligne des arbres. Bullshit. Aucun sentier n’avait été ouvert. De plus, à notre arrivée, un avis collé sur un panneau nous a appris qu’il était impossible d’atteindre le campement par l’Appalachian Trail, un pont ayant cédé.

On s’est donc rabattu sur un chemin alternatif, plus court de 7 km, parsemé de petites montées et descentes, qui a pris presque 4 heures sous une pluie fine. La neige n’était pas tellement profonde, mais on avait des ruisseaux à franchir. Vraiment pas l’idéal en raquettes. Je n’ose imaginer l’heure à laquelle on serait arrivés si on était passé par l’AT. On l’a échappé bel!

Une fois au camp, nous avons monté notre tente sous l’abri pour bénéficier de quelques degrés supplémentaires, la température flirtant avec le point de congélation. On a englouti nos repas lyophilisés et on s’est couchés sans tarder.

Le matin suivant, après un petit déjeuner consistant à base de patates en poudre, parmesan lait, beurre et bacon bites, nous avons pris la route de l’ascension du Baxter Peak de Katahdin par le Hunt Trail, qui fait aussi partie de l’Appalachian Trail. D’après le registre, aucun randonneur ne s’était aventuré par là depuis des semaines.

Ça voulait dire ouvrir sur 9 km et 1300 m d’élévation… sous une pluie persistante. Même avec des sac-à-dos allégés, la tâche s’annonçait rude.

Au fur et à mesure de notre montée, la neige devenait plus épaisse, et les bancs de neige plus abrupts. À ce moment, James regrettait de ne pas avoir pris de bâtons de marche. J’étais bien heureuse d’avoir les miens auxquels j’avais installé des paniers d’hiver.

Savoir renoncer

Le vent devenait de plus en plus fort et la pluie se transformait en neige. Nous étions plongés dans de vraies conditions hivernales. James, fatigué, me disait qu’il ne pourrait pas continuer à ouvrir si les conditions demeuraient aussi extrêmes. Sa dépense d’énergie était gigantesque. J’avais le beau rôle en arrière de lui…

Quatre heures plus tard, arrivés à la ligne des arbres, le décor était digne du pôle Nord. Bancs de neige monstrueux, vent déchaîné et visibilité nulle nous accueillaient. James, fixant un énième obstacle neigeux, a lâché d’un ton résigné : « On n’y arrivera pas. » Sa voix trahissait sa fatigue. On avait couvert seulement la moitié de la distance et du dénivelé. Franchir ces amas neigeux était déjà un défi, mais trouver notre chemin dans ce brouillard blanc relevait de l’impossible.

« On vire de bord », a-t-il décidé. Bien que l’aventurière en moi aurait voulu persister, je savais qu’il avait raison. Inutile de risquer plus dans une entreprise vouée à l’échec. Sa décision n’était pas de l’abandon, mais du gros bon sens. Dommage, mais sage.

De retour au camp, nous avons décidé de battre en retraite et de plier bagages afin d’éviter une autre nuit au froid. Ironiquement, malgré mon aversion pour la pluie, j’étais celle qui avait terminé la journée au sec, protégée par mon goretex et mes pantalons imperméables, achetés pour survivre à ma formation de guide de randonnée l’an dernier. James, par contre, était trempé jusqu’aux os, malgré son habituelle aisance sous la pluie.

En chemin, un malheur n’arrivant jamais seul, j’ai cassé une de mes raquettes – des MSR Lightning Ascent de première génération qui avaient survécu jusqu’ici à tant d’aventures! J’ai dû me résoudre aux crampons, mais heureusement, la neige, alourdie par l’eau, s’était suffisamment tassée pour faciliter notre progression. Autrement, on en aurait vraiment arraché.

Quelques heures plus tard, c’est avec un soulagement indescriptible que nous avons rejoint la van. James parce qu’il était mouillé comme un canard, moi, parce que je ne pensais pas pouvoir faire un pas de plus, à moitié morte d’épuisement.

Ce soir-là, on a englouti une fondue au fromage pour 4 personnes tout en réfléchissant à notre stratégie pour la suite de l’aventure.

« James, il reste deux jours avant la fermeture du parc. Il faut que tu essaies de nouveau. »

On envisageait l’Abol Trail, réputée plus praticable en hiver. Cependant, les conseils d’un randonneur croisé le matin suivant, qui avait lui-même renoncé à cette route, nous ont refroidis. Trop de neige, même pour un habitué des conditions hivernales.

Ça aurait probablement pris une gang de grands gars forts qui se relaient pour ouvrir afin de réussir dans ces conditions.

Finalement, on a pris la direction du Québec pour se ressourcer en famille quelques jours laissant derrière nous un Katahdin invaincu et un retard dans notre périple qui sera difficile à rattraper.

Au moment d’écrire ces lignes, nous sommes de retour en Pennsylvanie près de Delaware Water Gap. Quand je pense que James venait seulement de commencer à relaxer sur la trail… Pressure is back baby.

Oh! Et devinez qui a filé tout droit chez Mountain Equipment Compagny dès qu’on a mis les pieds au Québec ? Un certain monsieur décidé à ne plus jamais être mouillé comme un canard. Devinez ce qu’il a choisi sans même regarder le prix? Je vous laisse imaginer le modèle…

Leçons du sentier: partages essentiels pour les thru-hikers

Les wins

Tout l’équipement de pluie de MS : son imperméable Aspire II de OR, ses pantalons imperméables Torrentshell de Patagonia et ses bottes HOKA Kaha.

Les bas imperméables Sealskinz de James.

Les fails

Coupe-vent imperméable Orvis de James qui n’a clairement pas été conçu pour résister à 8 heures sous la pluie.

Les révélations du sentier

Le sentier m’a enseigné une leçon inestimable : préparer une expédition hivernale comme celle de Katahdin, c’est tout un monde à part. Ça nécessite des compétences spécifiques et une approche de préparation bien distincte d’une thru-hike classique. Avec le recul, je regrette de ne pas m’être plus investie dans la planification de cette aventure. J’ai des compétences qui complètent celles de James et qui auraient pu être précieuses. Bien que je doute que cela aurait changé le dénouement, je suis convaincue que cela aurait pu affiner certains aspects de notre voyage.

** Il y a eu un délai substantiel entre l’écriture et la publication de l’article. Nous sommes maintenant à la frontière du Massachusetts.**